[Justice] Accident d'anesthésie - Responsabilités IADE / MAR
Posté : 12 avr. 2010, 09:33
Annales Françaises d’Anesthésie et de RéanimationHypoxie grave au cours d’une anesthésie générale avec masque laryngé pour circoncision chez un enfant de deux ans
J.-M. Desmontsa,
a Département d’anesthésie réanimation, groupe hospitalier Bichat Claude-Bernard, université Paris-VII–Denis-Diderot, 46, rue Henri-Huchard, 75722 Paris cedex 18, France
1. Introduction
2. Observation
3. Expertise
4. Décision de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation
5. Commentaires
References
1. Introduction
Le masque laryngé a une place importante dans la pratique de l’anesthésie pédiatrique et son utilisation a fait l’objet d’une littérature abondante [1] and [2]. Cependant, même si les complications liées à son usage sont relativement rares, leurs conséquences sur l’oxygénation peuvent être particulièrement délétères.
Parmi les complications les plus graves rapportées, on peut citer :
• la régurgitation et l’inhalation du contenu gastrique ;
• le spasme laryngé ;
• l’obstruction des voies aériennes par différents mécanismes (occlusion de la glotte par le ballonnet, positionnement postérieur avec dysfonctionnement des cartilages aryténoïdes, introduction de l’extrémité du masque dans la glotte avec obstruction plus ou moins importante).
La fréquence des obstructions peut atteindre 5 % et nécessiter le retrait du masque dans 2 % des cas [3]. Le déplacement du masque nécessitant son repositionnement peut être observé dans 1 % des cas chez les enfants [4].
L’observation présentée dans cet article est celle d’un enfant de deux ans subissant une circoncision sous bloc pénien et anesthésie générale avec utilisation d’un masque laryngé. Une hypoxie grave survenue au cours de l’anesthésie et reconnue trop tardivement a eu pour conséquence une encéphalopathie majeure laissant l’enfant dans un état végétatif.
2. Observation
Un enfant de deux ans a été admis dans un établissement de soins pour y subir une circoncision de façon chirurgicale. L’enfant pesait 11,5 kg et n’avait pas d’antécédent particulier autre qu’un rhume dix jours avant l’intervention. L’examen préanesthésique pratiqué par le Dr. X… ne révélait pas d’éléments pouvant faire contre-indiquer l’anesthésie générale. La prémédication consistait en l’injection intrarectale de 4 mg de midazolam.
L’induction de l’anesthésie était assurée par le Dr. Y… par inhalation de sévoflurane à 8 % dans un mélange N2O/O2 à 50 %. Une voie veineuse était ensuite mise en place et 5 μg de sufentanil étaient injectés, ce qui entraînait une baisse transitoire de la SpO2 à 87 %. Un bloc pénien était ensuite réalisé avec un mélange de bupivacaïne à 0,25 % et de lidocaïne à 1 %, 5 ml au total. Un masque laryngé no 2,5 était mis en place sans difficulté après l’induction permettant de ventiler artificiellement l’enfant en début d’anesthésie. Après l’installation du bloc pénien, l’anesthésiste laissait l’enfant reprendre sa ventilation spontanée. À ce moment-là, la SpO2 était à 95 % et la PCO2 à 42 mmHg. L’anesthésiste confiait alors la surveillance de l’anesthésie à une infirmière anesthésiste pour aller pratiquer une anesthésie dans la salle voisine. Dix minutes après le départ de l’anesthésiste, le chirurgien constatait que le sang était noir et le signalait à l’infirmière anesthésiste qui se rendait compte que la SpO2 n’était plus mesurable. Elle tentait de ventiler le patient mais elle rencontrait de grosses résistances à l’insufflation et constatait une dilatation gastrique. Le médecin anesthésiste était appelé en urgence auprès de l’enfant. À son arrivée, le cardioscope montrait un tracé plat que l’infirmière attribuait à une électrode débranchée. Le médecin confirmait l’arrêt cardiaque et commençait le massage et l’oxygénation après avoir intubé l’enfant. Les pupilles étaient en mydriase. La SpO2 remontait assez rapidement en quelques minutes sous l’effet conjugué de la ventilation en oxygène pur et du massage cardiaque. Une seule injection d’adrénaline suffisait à rétablir une autonomie cardiaque. L’état hémodynamique revenu à la normale, l’enfant était transféré intubé en salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI) où la prise en charge était assurée par le Dr. Z… À son arrivée en SSPI, la température était à 39,8 °C et une hyperthermie maligne était suspectée faisant administrer du dantrolène à la dose recommandée. Trente minutes plus tard, l’enfant toussait sur sa sonde d’intubation, ce qui conduisait l’anesthésiste en charge de la SSPI à extuber l’enfant. Cependant, l’absence de signe de réveil et la survenue de convulsions deux heures plus tard conduisaient l’anesthésiste à réintuber l’enfant et à demander son transfert en réanimation pédiatrique.
À son arrivée en réanimation, l’enfant était apyrétique, intubé et ventilé mécaniquement. Son état cardiovasculaire était stable. La ventilation pouvait être stoppée au bout de 24 heures. Malheureusement, l’état neurologique ne s’améliorait pas. L’IRM cérébrale confirmait la présence de lésions diffuses en faveur d’une ischémie sévère. Il s’installait une hypertonie segmentaire des membres avec hypotonie axiale qui évoluait vers un état végétatif définitif.
Deux ans plus tard, il persistait une quadriparésie spasmodique avec une amyotrophie diffuse. Des crises itératives d’épilepsie obligeaient à un traitement antiépileptique permanent. Aucune vie de relation avec l’entourage n’était possible.
3. Expertise
Les séquelles neurologiques très lourdes dont cet enfant est atteint peuvent être rattachées aux lésions encéphaliques causées par l’hypoxie peranesthésique. L’hyperthermie maligne suspectée initialement peut être éliminée facilement. L’hyperthermie constatée au décours de l’accident hypoxique était d’origine centrale en rapport avec l’encéphalopathie.
Quelle est la cause de l’hypoxie peropératoire ? Compte tenu des difficultés qu’a rencontrées l’infirmière anesthésiste pour insuffler le patient et la distension gastrique qu’elle a observée, la cause la plus probable est un déplacement du masque laryngé obstruant les voies aériennes supérieures. La reconnaissance trop tardive de l’hypoxie a été à l’origine de l’arrêt cardiaque et des lésions encéphaliques irréversibles.
L’évaluation des responsabilités des intervenants est analysée ainsi :
• le Dr. X…, ayant réalisé la consultation préanesthésique, n’avait pas identifié de contre-indications à l’anesthésie générale. Une rhinopharyngite avait été observée une dizaine de jours avant l’intervention, mais l’enfant paraissait guéri. Sa responsabilité n’a pas été retenue ;
• le Dr. Y… avait la charge de l’anesthésie et a choisi un protocole associant un bloc pénien et l’anesthésie générale. Ce choix n’appelle pas de critiques de la part des experts. La baisse transitoire de la SpO2 résulte probablement des effets du sufentanil potentialisés par la prémédication au midazolam. En revanche, le fait d’avoir laissé la surveillance d’une anesthésie avec masque laryngé à une infirmière anesthésiste de toute évidence peu aguerrie à cette technique est fautif. Celle-ci n’a pas reconnu assez tôt le problème d’oxygénation puisque c’est le chirurgien qui l’a averti que le sang était noir. Il est apparu que le Dr. Y… n’avait pas donné de consignes précises pour la surveillance d’une anesthésie comportant un masque laryngé à une infirmière anesthésiste inexpérimentée ;
• le Dr. Z… a pris le relais du Dr. Y… pour la surveillance de l’enfant en SSPI. Il a administré du dantrolène pour traiter une éventuelle hyperthermie maligne qui a été ensuite éliminée. Le fait d’avoir extubé l’enfant sur le seul fait qu’il toussait sur sa sonde, sans recueillir des signes objectifs de réveil, est probablement critiquable, mais les experts ont considéré que, même si cette décision était malencontreuse, les lésions encéphaliques étaient déjà constituées à la sortie du bloc opératoire. Le fait d’avoir laissé intubé l’enfant n’aurait sans doute rien changé à l’évolution. Les experts n’ont donc pas retenu la prestation du Dr. Z… comme fautive.
L’infirmière anesthésiste faisait des remplacements occasionnels dans cet établissement. Elle avait obtenu son diplôme en 1969, mais avait exercé pendant 30 ans comme chef panseuse de bloc opératoire. À la retraite, elle avait repris l’anesthésie en faisant des remplacements occasionnels. Bien qu’elle ait affirmé aux experts qu’elle connaissait la technique du masque laryngé, il est apparu que son expérience était en fait limitée et que sa faible réactivité devant l’hypoxie témoignait de son manque de pratique.
Dans ces conditions, le fait pour le Dr. Y… d’avoir délégué à une infirmière anesthésiste, certes diplômée, mais manquant de toute évidence de pratique, la surveillance d’un enfant sous anesthésie avec un masque laryngé, constituait une imprudence.
4. Décision de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation
L’imputation du dommage soumis à la Commission à l’intervention chirurgicale en question ne fait aucun doute. La responsabilité du dommage incombe au Dr Y… qui était en charge de l’anesthésie. Les conclusions sont les suivantes : « De fait, c’est au Dr Y qu’il appartenait de veiller à ce que les conditions fussent réunies pour une sécurité suffisante ; outre le bon fonctionnement, la disposition et le réglage des appareils de mesure, il devait faire en sorte que la surveillance de l’enfant en son absence – à supposer que celle-ci fut justifiée – pût se faire dans des conditions présentant un niveau de qualité comparable à celui qu’elle eût pu assurer lui-même.
Il en résulte également que la totalité du dommage est imputable à ces manquements, d’une part, parce que tout donne à penser que l’accident qui est à son origine ne se fût pas produit, si l’enfant avait bénéficié d’une attention suffisante à son égard et que, d’autre part, la réaction eût pu être suffisamment rapide et efficace pour éviter des lésions cérébrales irréversibles ».
L’incapacité permanente partielle (IPP) a été évaluée à 95 % avec une nécessité d’une tierce personne spécialisée 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. La demande d’indemnisation doit être prise en charge par l’assureur du Dr Y.
5. Commentaires
Les recommandations de la Société française d’anesthésie et de réanimation sur la surveillance du patient en cours d’anesthésie précisent dans le chapitre concernant le personnel en charge :
« Si le médecin anesthésiste-réanimateur est amené à quitter la salle d’opération, il confie la poursuite de l’anesthésie à un autre médecin anesthésiste-réanimateur qualifié. S’il la confie à un médecin anesthésiste-réanimateur en formation ou à un(e) infirmier(e) anesthésiste, il reste responsable de l’acte en cours et peut intervenir sans délai. ». Ce texte indique que le médecin qui délègue à une infirmière anesthésiste reste responsable de l’acte en cours et capable d’intervenir sans délai. Il sous-entend que la personne déléguée est qualifiée et suffisamment compétente pour surveiller en toute sécurité un patient anesthésié comme le ferait le médecin qualifié.
Ces conditions n’étaient pas réunies dans le cas présent. Il s’agissait d’une infirmière anesthésiste diplômée depuis plus de 35 ans et qui n’avait pas pratiqué pendant 30 ans. À la retraite, elle faisait des remplacements occasionnels et n’avait pas été entraînée à la surveillance des patients porteurs d’un masque laryngé.
En recourant à une infirmière anesthésiste n’apportant pas toutes les garanties de compétences que l’on est en droit d’attendre de ces personnels, le Dr Y… a commis une imprudence fautive qui a conduit à une catastrophe dont le dédommagement incombe totalement à son assureur. Le médecin déléguant à une infirmière la surveillance d’une anesthésie doit s’assurer, d’une part, de sa compétence et, d’autre part, lui donner des consignes précises lorsqu’il lui laisse la responsabilité de la surveillance.
Pour la pratique on retiendra :
Le médecin déléguant à une infirmière la surveillance d’une anesthésie doit s’assurer d’une part de sa compétence et d’autre part lui donner des consignes précises lorsqu’il lui laisse la responsabilité de la surveillance.
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a pas transmis de conflit d’intérêt.
References
[1] J.H. Pennant, The laryngeal mask airway: its uses in anesthesiology, Anesthesiology 79 (1993), pp. 143–163.
[2] T.M. Cook, G. Lee and J.P. Nolan, The ProSeal laryngeal mask airway: a review of the literature, Can J Anaesth 52 (2005), pp. 739–760. Full Text via CrossRef | View Record in Scopus | Cited By in Scopus (75)
[3] M.S. Stix and C.J. O’Connor, Maximum minute ventilation test for the ProSeal laryngeal mask airway, Anesth Analg 95 (2002), pp. 1782–1787. Full Text via CrossRef | View Record in Scopus | Cited By in Scopus (17)
[4] W.J. Fawcett, RaviliaAM and P. Radford, The laryngeal mask in children, Can J Anesth 39 (1991), p. 685. Full Text via CrossRef | View Record in Scopus | Cited By in Scopus (3)